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Préhistoire d'une oeuvre, histoire d'un pays, par Nicola Brarda

Description d’un combat

« On a le droit d’apprendre, il n’est pas indispensable d’étaler les étapes de son apprentissage. » [1] C’est ainsi que Chris Marker justifiait son désir de ne pas voir diffusé lors de ses rétrospectives ce que le cinéaste appelait sa « préhistoire » [2]. l’ensemble des Å“uvres ayant précédé la date fatidique de 1962 et ces deux titres clé. La Jetée et Le Joli Mai . C’est dans cette préhistoire que s’inscrit Description d’un combat. et plus spécifiquement, dans le vaste panel de films que Marker tournera au gré de ses voyages du début des années soixante. Le documentaire naît en effet de l’impulsion des époux Van Leer, qui produiront le film de Marker après avoir vu sa Lettre de Sibérie. la « lettre d’Israël » du cinéaste, tournée en deux mois, livre un portrait déroutant du jeune pays et de ses promesses.

Description d’un combat débute par une longue liste de signes qu’Israël adresse au voyageur. signes de terre et d’eau qui font resurgir le paysage biblique ; signes de présence humaine, champs cultivés, villes en construction qui annoncent l’émergence d’une nation nouvelle. Les premiers plans, qui nous montrent des carcasses de tanks dans le désert, si usées qu’on croirait voir des sondes perdues sur une autre planète, témoignent de la matérialisation, aux côtés du passé, d’une nouveauté radicale.

Cette mosaïque de signes donne alors naissance à un double jeu de communication. celui qui s’établit à l’arrivée, alors qu’Israël s’annonce au voyageur en matérialisant le rêve de la terre promise et de la prospérité occidentale qui l’accompagne, mais également celui qui se tisse au cÅ“ur même de l’histoire du pays, entre son passé et son avenir. Communication mystérieuse et fragile que Marker illustre en montrant les signaux captés par un oscilloscope dans le laboratoire de l’université de Tel Aviv, dont la coupole est jumelle de celle d’une synagogue avoisinante.

Un étonnement amusé

De fait, l’anachronisme se révèle omniprésent à mesure que les signes se mélangent, que l’on voit dans les marchés de Tel Aviv les paysans côtoyer les touristes, ou que la cour d’un temple en ruines laisse découvrir un gigantesque amas de pneus. De ce brouillage temporel constant naît l’effet de surprise qui caractérise le film. Description d’un combat guette l’inattendu et reste fidèle au penchant de Marker pour un étonnement amusé, où le jeu du mot et de l’image sont solidaires. Ainsi, bien sûr, de l’apparition impromptue de chats, mascottes du cinéaste. Ainsi également des multiples séquences qui portent à sourire, comme le moment où le cinéaste évoque l’âge du pays en filmant une jeune adolescente (« douze ans, bientôt treize ») et sa population, dans le plan successif, en filmant une femme enceinte (« deux millions d’habitants, bientôt trois »).

Le film est ainsi ponctué d’une suite de rencontres, portées par des visions saisissantes, que le montage et la narration font s’enchaîner mais qui persistent dans la mémoire de façon autonome. On retient surtout l’enthousiasme des habitants devant leur propre représentation, comme en témoigne une foule en liesse sautant devant la caméra lors d’une procession sépharade, ou ce jeu auquel le cinéaste se livre, montrant à des marchands les photographies prises d’eux par des touristes, et captant les émotions qui défilent sur leurs visages.

C’est donc un jeu entre imaginaire, devenir et présence tangible de ce pays fantasmé qui naît ici. Avec son lot de questionnements et d’appréhension. Car derrière la terre promise, la réflexion fait entrevoir l’espace conquis, aménagé, pris en main. c’est la disparition prochaine des plages de Haïfa devant les lotissements, la naissance de villes dans le désert, comme de nouvelles Las Vegas.

Le combat dont il est question apparaît donc tout d’abord sur un plan métaphorique. Il est le combat contre le « désert » qui naît des promesses exaucées. la transformation en un État-nation moderne, où la prospérité matérielle, « décor du bonheur », finit par prendre la place de la fidélité spirituelle et de l’héritage de la Loi. Il est le combat des idéaux, tels ceux de la minorité « exemplaire et conquérante » des kibboutz, dont le modèle de société utopique semble déjà en péril. Il est enfin le combat pour l’existence, alors que Marker insère dans son film des images d’archives du Mur des Lamentations aussi bien que du film The Illegals (1947), relatant le départ des juifs d’Europe et leur périple de camps de réfugiés en camps de réfugiés, et rappelle la responsabilité accablante de l’Europe par la vision d’une suite de chiffres imprimée sur le poignet droit d’un agriculteur.

Le combat absent

Le cinéaste choisit donc de superposer les cauchemars passés du peuple juif et l’innocence d’une nouvelle génération israélienne dont il filme avec attention les multiples visages, des enfants orthodoxes du ghetto jusqu’aux petits scouts, en passant par l’insouciance de ceux qui jouent dans les fontaines. Ce faisant, il laisse néanmoins de côté le combat bien réel qu’Israël continue de mener contre ses voisins. la guerre n’est évoquée qu’en filigrane, par des incidents à la frontière ou des impacts de balle sur un mur. Des signes, et non la chose.

De même, le sort de la minorité arabe fait l’objet d’une évocation problématique. Marker la présente comme « l’épine dans la chair » du pays, « donnant mauvaise conscience aux meilleurs », mais l’image de l’épine, derrière son apparente pertinence, finit par faire du sort des minorités un point minoritaire, et par masquer la blessure autrement plus profonde qui sépare Israël d’une frange de sa population. Celle-ci apparaît dans le visage d’une autre adolescente, Mouna, chef de famille d’une fratrie de sept après que la misère ait rendu son père fou. Mais la caméra, toute focalisée sur la beauté et la résilience de son visage de petite fille, oublie de détailler la brutalité de son sort et des oppressions qu’elle subit.

Par son choix de laisser aux marges ce qui apparaît comme le seul et unique combat d’Israël aujourd’hui, Description d’un combat a quelque chose d’inaudible, semble sortir d’une « préhistoire » qui saisit le spectateur par son décalage avec le temps présent. Le signe est devenu la trace. la naissance et les promesses de cette jeune nation, des souvenirs d’une réalité oubliée. Et pourtant, ce film est le seul de Marker à avoir donné l’impulsion à une autre Å“uvre. Description d’un souvenir de Dan Geva, qui en 2006 vient former avec le film original un diptyque inattendu, témoignant des transformations d’Israël, répondant au réalisateur et interrogeant son regard. C’est peut-être que les brouillons d’un grand cinéaste peuvent eux aussi faire signe, dans l’attente d’une réponse.

  1. [1] Chris Marker – La Cinémathèque française, Programme du 7 janvier au 1er février 1998.
  2. [2] Ibidem.